Le vibromasseur, l’hystérie et la satisfaction sexuelle des femmes

livre sur le vibromasseurTechnologies de l’orgasme est la traduction française d’un ouvrage paru il y a maintenant plus de dix ans (en 1999) The Technology of orgasm : « hysteria », the vibrator and women’s sexual satisfaction (The John Hopkins University Press), et qui a connu un énorme succès aux Etats-Unis. Il a fait l’objet de nombreuses recensions et a donné lieu à la réalisation d’un documentaire Passion and Power : the Technology of orgam (2007) par les cinéastes Wendy Slick et Emiko Omori.

L’ouvrage de Rachel Maines se concentre sur un pan spécifique de l’histoire de la médecine, de l’histoire des technologies et des théories médicales : l’invention du vibromasseur comme traitement de l’hystérie féminine. Le vibromasseur électromécanique est en effet, un outil médical inventé aux alentours de 1880 pour traiter l’hystérie. Il doit suppléer aux massages pelviens manuels réalisés par les médecins, en lesquels consistait jusqu’alors le traitement de l’hystérie. Dès 1653, le traité de médecine de Pieter van Foreest préconise à propos de l’affliction communément appelée hystérie, des massages des organes génitaux, qui par l’atteinte du « paroxysme de l’excitation » doivent guérir l’affligée. Cette technique est déjà décrite dans le corpus hippocratique au Ier siècle avant J-C par Celse… Lorsqu’on étudie la littérature médicale, on ne peut que s’étonner de l’omniprésence de la recommandation de cette pratique.

L’arrivée de la fée électricité permet au XIXe siècle, d’automatiser le massage pelvien en électrifiant le vibromasseur, et de traiter l’hystérie féminine à moindre coût et avec une plus grande efficacité, que ne le permettaient les massages manuels. La méthode des massages manuels était en effet pour les médecins hommes à la fois, coûteuse en temps et réclamait une virtuosité difficile à acquérir. Ces massages sont qualifiés de « sale besogne » par Rachel Maines (titre du premier chapitre), qui prend là plaisir à rappeler que nul potentiel érotique n’y était investi par les médecins, qui au contraire déléguaient aux sages-femmes ou aux infirmières, le soin de produire des orgasmes aux patientes. « Rien n’indique que les médecins dans leur ensemble aient pris un plaisir particulier à fournir ces services à leurs patientes – sauf bien sûr pour ce qui est de la satisfaction liée à l’efficacité de la thérapeutique et aux revenus qu’ils en tiraient » (p 201).

Le vibromasseur électromécanique correspond pour Rachel Maines à une production savante de l’orgasme et comme telle, entérine un modèle androcentrique de la sexualité : à savoir une sexualité définie avant tout par la pénétration et le coït, et par contrecoup, la pathologisation d’une sexualité féminine qui ne s’épanouirait pas dans ce cadre. La sexualité féminine est au XIXe siècle conçue comme foncièrement pathologique, lorsqu’elle ne se conforme pas aux normes androcentriques. L’hystérie comme trait constitutif de la sexualité féminine est le résultat de cette qualification. Pour Rachel Maines, l’hystérie a été théorisée et pensée comme un moyen de « réconcilier les différences (observées et supposées) entre une sexualité androcentrique idéalisée et le réel de l’expérience des femmes. » (p72) La position de l’auteure est quant à elle clairement annoncée et passionnée : elle valorise l’orgasme clitoridien comme technique appropriée à la sexualité féminine.

C’est dire que l’auteure n’a pas pour objectif un propos uniquement descriptif : elle s’inscrit clairement dans la mouvance de la critique féministe de l’hégémonie masculine. L’auteure démontre que la définition de l’orgasme est un objet de lutte. A ce titre, ainsi que le rappelle Alain Giami, dans la préface de l’ouvrage, « l’approche de Rachel Maines s’inscrit dans le prolongement des idées développées à partir des années 1970 par Shere Hite, selon lesquelles le clitoris serait le principal organe érotique des femmes. » (p21) Technologies de l’orgasme est ainsi un ouvrage important par la déconstruction qu’il propose des canons de la sexualité féminine. Il propose au lecteur une histoire culturelle des conceptions de la sexualité, hautement fouillée et renseignée, il faut d’ailleurs noter qu’un grand nombre d’illustrations accompagnent l’ouvrage. Mais l’ouvrage est également intéressant pour le regard qu’il permet d’apporter sur la manière dont on aborde un tel objet de recherche.

Pourquoi et comment s’intéresser à l’histoire des vibromasseurs ? Rachel Maines partage dans son introduction, la manière dont elle a été amenée à s’intéresser à cet objet. Nous sommes en 1977 et Rachel Maines travaille alors pour son doctorat d’histoire des sciences sur l’histoire du tricot, du crochet et de la broderie. Dans ce cadre, elle feuillette les magazines féminins du début du XXe siècle, notamment Modern Priscilla et Women’s Home Companion et y découvre de nombreuses réclames insérées dans les marges, vantant les mérites de vibromasseurs. Piquée par la curiosité, elle constitue alors, en parallèle de ses recherches sur le tricot, un dossier sur les vibromasseurs. Traquant ensuite les collections des musées, elle demande et reçoit une allocation de recherche du Bakken Library and Museum of Electricicty in Life de Minneapolis, pour étudier l’histoire du vibromasseur. Elle raconte à ce propos sa première visite des fonds patrimoniaux du musée de l’électricité de Minnéapolis avec un conservateur fort digne… Rachel Maines décrit également la réception variée que provoquent ses communications au sujet des « appareils de relaxation ostéomusculaire » (catégorie sous laquelle ils sont rangés au musée de Minnéapolis). Entre indignation polie des hommes, surprise de ceux qui pensent qu’il s’agit d’une plaisanterie et écoute attentive et amusée des femmes. Autant d’éléments qui contribuent, autant que la recherche elle-même, à définir l’objet de recherche. Ainsi n’est-il pas anodin de remarquer que la publication d’un article sur le vibromasseur coûte son poste à Rachel Maines à l’université Clarkson, et qu’un article proposé à la revue Technology and Society en 1989, une revue de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens, est considéré comme un canular…. Dans le documentaire tiré de l’ouvrage de Rachel Maines, celle-ci raconte sa bataille avec le magazine pour faire publier l’article auprès de la rédaction.